par SSD | 6 Juin 2023 | Actualités, Sciences et Engagements - Portraits de scientifiques et militants
Figure parmi les objecteurs de nucléaire en France, Bernard Laponche est expert des questions de politiques énergétiques ainsi que des questions de sûreté des installations nucléaires. Il publie de nombreux rapports avec l’association Global Chance, qu’il a rejoint en 1992, juste apprès sa fondation.

Il a accepté de revenir avec nous sur son parcours, ses combats et les différents constats qu’il dresse sur les blocages politiques autour des questions majeures que sont la planification énergétique et la sûreté des installations qui devraient pouvoir prendre plus de place dans le débat démocratique.
Ingénieur polytechnicien et syndicaliste ?
Ingénieur de l’école polytechnique, Bernard Laponche est diplômé en 1961 et entre au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) pour y préparer une thèse d’Etat autour de la physique des réacteurs nucléaires. Pendant une douzaine d’années, il y travaille en tant qu’ingénieur sur une période où se développent les prémices du parc nucléaire français. Cette période se termine par un Doctorat d’Etat en physique des réacteurs nucléaires.
« J’étais un ingénieur normal, je trouvais que le nucléaire c’était très bien, comme tous les gens qui travaillent dans ce genre de boîtes. J’étais syndiqué à la CFDT, mais tout à fait adhérent dormant. C’est véritablement mai 68 qui m’a transformé en militant. »
Comme beaucoup de personnes de sa génération, Bernard Laponche fût beaucoup marqué par le climat social contestataire de la fin des années 60.
Il est alors plongé dans le militantisme et occupe des responsabilités en mai 68 au sein du comité d’action de Paris-Saclay. A cette occasion, il remarque que parmi les très nombreux sujets abordés au cours des débats, la question des choix de politique énergétiques reste globalement absente. Si des critiques sont formulées à l’encontre du recours au nucléaire militaire, la question du nucléaire civil n’est quasiment pas abordée en mai 68. De rares critiques émanent d’individus isolés, presque marginaux, qui s’inscrivent dans le prolongement des combats environnementalistes et anti-nucléaires naissant aux Etats-Unis dans les années 60. L’expérience du militantisme syndical dans ce contexte l’amène à développer des réflexions de plus en plus critiques à l’encontre du nucléaire.
« Au début des années 70, lorsqu’EDF à décidé du changement de filière, cela a causé une crise au CEA qui à entraîné des licenciements. A ce moment, et grâce aux syndicats, j’ai compris que le nucléaire n’était pas seulement les travaux sur papier que je faisais, mais qu’il y avait aussi des travailleurs, à la Hague, à Marcouler… Et ça m’a mis dans le bain de la réalité de ce qu’était le nucléaire, pas uniquement comme un instrument de recherche mais aussi comme une activité industrielle, polluante et dangereuse. »
C’est à partir de ces constats qu’il devient permanent syndical à la CFDT à partir de 1973. Il contribue alors à la rédaction de l’un des premiers ouvrages français construisant une approche critique de l’énergie nucléaire « L’électronucléaire en France » paru en 1975.
Il devient ensuite permanent au syndicat CFDT du CEA, puis à la Confédération à la fin des années 1970 et , entre les deux, il travaille au CEA sue la prospective énergétique.
Toutes des années, la CFDT est extrêmement critique sur les programmes nucléaires (Plan Messmer et Superphenix) et soutient les économies d’énergie et les énergies renouvelables.
Au début des années 80, il rejoint l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME)[1] dont il devient directeur général en 1984. Il se spécialise alors dans la maîtrise de l’énergie, les énergies renouvelables et la prospective énergétique. Il co-fonde en 1988 le cabinet ICE (International Council Energy) qui va travailler dans les années 1990 et 200 au développement des politiques de maîtrise de l’énergie, surtout à l’international : Europe de l’Est et Russie, bassin, Afrique du Nord et Palestine, Chine…
Entre 1998 et 1999, il est conseiller en sûreté nucléaire auprès de Dominique Voynet, alors ministre de l’environnement. Cette expérience le confronte alors de l’intérieur au fonctionnement des institutions et de l’administration.
« Là ça m’a confirmé que vraiment, c’était pas bon. J’avais vraiment accès au monde politique et c’était effroyable. Ces sujets là, en général, sont totalement ignorés de la plupart des responsables politiques. Et ça c’est un problème. »
Critique du modèle énergétique français
En 1992, suite au sommet de Rio, Bernard Laponche rejoint l’association Global Chance, qui rassemble différents scientifiques et journalistes scientifiques autour de l’élaboration de rapports et de positions critiques à l’égard de la politique énergétique française. Si ce regroupement d’expert rencontre des difficultés à peser sur la décision politique et l’administration, il devient progressivement un support à l’expertise technique utile aux réseaux militants travaillant sur ces thématiques.
« Depuis Fukushima, on remarque aussi que Global Chance a une certaine influence par rapport à la presse, et même par rapport aux organismes de sûreté. Par exemple par rapport à l’IRSN[2] ; on discute avec eux, il y a une certaine écoute disons. On en est là. Et rien ne bouge. Ce qui est quand même un peu étonnant. Les gens parlent du lobby nucléaire mais c’est une erreur, c’est un État nucléaire ! »

Pour Bernard Laponche, tout cela prend ses racines dans le fait que le nucléaire est au cœur d’un vaste système de pouvoir institutionnel sur les différents corps sociaux de la population. La France est dans une situation où le complexe militaro-industriel étatique détient une telle emprise qu’il est même compliqué pour un scientifique ou un politique de remettre publiquement en question les choix techniques et énergétiques basés sur le modèle nucléaire.
« Du point de vue des gens qu’emploient le CEA, Areva, EDF et tout ça, ainsi que pour l’administration, cela représente beaucoup d’emploi, beaucoup de richesses, etc… Il y a bien des gens, parmi ceux-la, qui sont convaincus que le nucléaire est bon mais la majorité c’est de la conviction de carrière. »
Le nucléaire français : entre science, expertise et politique
Au coeur de ces controverses, Bernard Laponche regrette une relative absence de critique de la part des scientifiques et des experts autour des nombreuses questions que soulève le modèle nucléaire. Il estime que ces derniers – et particulièrement les physiciens – ont une responsabilité considérable sur ces sujets. Si dans les années 70 le plan Messmer[3] a suscité de vives critiques, avec notamment la création du Groupement de Scientfiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN), cette vague est très vite redescendue. Aujourd’hui, les scientifiques qui prennent ouvertement position contre le nucléaire sont très peu nombreux.
« Le CEA bon… admettons que le CEA défende sa boutique. Mais le CNRS ils ont été actifs quelques années et ils sont vite rentrés dans les rangs. Parce que pour faire une carrière scientifique en France, que ce soit dans le public ou dans le privé, il ne faut pas être critique par rapport au nucléaire. »
Pourtant, les problématiques soulevées par le système nucléaire sont nombreuses ; les incertitudes liées au traitement des déchets, l’arrivée en fin de vie des premières installations et les problématiques de sûreté qu’elles génèrent, la pertes de compétences techniques en la matière, déboires industriels de la réalisations de l’EPR… Même le modèle économique de la fillière semble rencontrer des difficultés et de moins en moins compétitif face au développement des énergies alternatives.

Chantier de l’EPR de Flamanville, dont l’ouverture, prévue en 2012 n’a de cesse d’être repoussée en raison de nombreuses défaillances techniques.
Lors de notre échange, Bernard Laponche se montre particulièrement inquiet devant la banalisation de la notion d’exclusion de rupture qui estime la probabilité de rupture d’une pièce comme étant assez faible pour ne pas avoir à « étudier intégralement les conséquences d’une rupture de ces tuyauteries dans la démonstration de sûreté de l’installation »[4]. Pour lui, cette notion est tout simplement impossible a démontrer sur le plan physique ; les déboires successifs du chantier de l’EPR de Flamanville en sont un bon témoin.
Toutes ces critiques, que Bernard Laponche et Global Chance adressent depuis des années[5]semblent pourtant inaudibles. Catalogués comme militant anti-nucléaires, la solidité et la pertinence de leurs études sont systématiquement mises de côté.
« Pour eux, je suis un anti-nucléaire notoire. Le travail de Global Chance n’est pas critiqué sur ses aspects techniques, parce qu’il est correct. On s’est bien trompés une fois ou deux, mais on a vite rectifié. Le problème c’est qu’on ne reçoit jamais de critiques directes sur la solidité de nos travaux ; on nous reproche surtout notre opinion. »
On voit donc que la question dépasse largement le cadre purement technique et scientifique, tant les enjeux politiques et économiques qu’elle soulève sont forts. Bernard Laponche et les membres de Global Chance sont bien conscients que les chances de peser sur la décision politique via la production d’expertise sont infimes face à de telles contraintes. C’est pourquoi le parti pris de l’association est plutôt de produire une expertise qui viendra en appui aux différents collectifs militants sur ces questions et permettra une information critique indépendante en direction des médias.
Démocratie, controverses et choix techno-scientifiques
Pour Bernard Laponche, les grands exclus de ces débats sont, une fois encore, les citoyennes et citoyens. Avant d’être une question technique, le choix du modèle énergétique et sa structure, sont surtout des questions démocratiques tant leurs effets sont structurants pour la société. Il a donc accueilli avec intérêt – et prudence – la mise en place d’un débat public autour de la gestion des déchets radioactifs. Organisé par la Commission Nationale du Débat Public entre avril et septembre 2019, cette concertation nationale a permis aux citoyennes et citoyens de se positionner sur les controverses autour du traitement des déchets radioactifs. Cette question particulièrement délicate agrège des positionnements particulièrement polarisés et donne un cas d’école très intéressant pour étudier les controverses techno-scientifiques. Les importantes mobilisations autour du projet Cigéo à Bure en sont d’ailleurs un excellent témoin[6].
Au cours de cette consultation, divers établissements, entreprises et associations ont été invités à rédiger des « cahiers d’acteurs » pour « apporter au public non spécialiste mais soucieux de disposer d’une bonne information technique les informations permettant de comprendre les différences d’argumentations exprimées par des experts ou des organismes institutionnels »[7]. Bernard Laponche résume en montrant a quel point ce dispositif a des effets limités et une portée démocratique extrêmement relative ; les avis exprimés par les citoyens et les organisations militantes n’ayant qu’un effet consultatif, ils sont très rarement pris en compte dans la décision effective.
« Le niveau de connaissances du milieu anti-nucléaire sur ces questions est beaucoup plus élevé qu’a l’époque. Il y a des gens qui travaillent, qui connaissent le sujet, qui sont capables dans un débat de dire des choses tout à fait viables. Le problème c’est que comme c’est le troisième dispositif de ce type et que les deux premiers n’ont donné aucun résultat : les solutions proposées par les citoyens n’ont pas été suivies d’effets. Les opposants de Bure ont refusé de participer à ces débats. Moi je me dit qu’ils ont tort parce que ça donne quand même une possibilité d’exposer leurs positions, mais en même temps je les comprend très bien… »
Propos recueillis et synthétisés le 17 mai 2019 par Glen Millot et
Thomas Germain pour le processus SSD
Références
- L’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME) est créée en 1982. Sa mission était de susciter, animer, coordonner, faciliter ou réaliser des opérations ayant pour objet la maîtrise de l’énergie. En 1990, elle fusionne avec l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets (ANRED) et l’Agence pour la qualité de l’air (AQA) pour former l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). ↩︎
- Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire : https://www.irsn.fr/FR/Pages/Home.aspx ↩︎
- Détails sur le plan Messmer dans la page ikipédia de l’Histoire du programme nucléaire civil de la France – Accélération du programme éléctronucléaire ↩︎
- Définition de l’ASN : exclusion de rupture. ↩︎
- On retrouve la plupart de ces réflexions et travaux critiques sur le site de Global Chance : http://www.global-chance.org/Publications-de-membres-de-Global-Chance ↩︎
- Pour plus d’informations, voir le site : https://bureburebure.info/ ↩︎
- Y ont participé les établissements, entreprises ou associations suivants : Andra, IRSN, EDF, Orano, CEA, Wise Paris, Global Chance, France Nature Environnement (FNE), la CLI de Cruas. Ces fiches sont consultables sur le site de la commissions, dans la rubrique Clarification des controverses techniques ↩︎
par SSD | 23 Mai 2023 | Actualités, Sciences et Engagements - Portraits de scientifiques et militants
Philosophe des sciences, activiste et professeure à l’Université Libre de Bruxelles, Isabelle Stengers est une figure hors norme dans le paysage intellectuel de ces quarante dernières années. Sa pensée interroge la production des connaissances par les sciences modernes et les visions du monde qu’elles conditionnent. À travers de nombreuses contributions, elle met en récit une vision résolument politique de la science et invite, avec malice et humour, à faire exister d’autres possibles, loin de la résignation et des schémas de pensées qui nous oppressent.
Au détour d’un passage par Paris, nous avons pu prendre un moment avec elle pour revenir sur les sources de ses engagements et sur sa vision des formes que pourraient prendre une alliance entre la science et la société civile pour dessiner les contours d’un nouveau rapport entre sciences, sociétés et démocratie.

Perdue pour la science
En revenant sur son parcours, Isabelle Stengers nous confie que les réflexions qu’elle développe sur la science prennent source dès sa formation, lorsqu’elle étudie la chimie à Bruxelles. Elle s’aperçoit au cours de son cursus qu’elle est formée à éventuellement devenir chercheuse en physico-chimie, mai sans vraiment « situer le front d’avancée de la discipline », c’est-à-dire en étant engagée à la faire avancer sur le mode de l’évidence. La manière dont les sciences lui sont enseignées ne laisse alors pas de place à des questionnements, mais seulement à la résolution de problèmes.
« En troisième année, je me suis rendue compte, un peu par le hasard des lectures, qu’en mécanique quantique il y avait d’énormes problèmes. Hors, je venais d’avoir un gros cours de chimie quantique et je n’avais pas vu de problème. »[1]
C’est sur la base de ces constats, qu’elle commence à s’interroger sur un certain nombre de « grandes questions » qui entourent les sciences expérimentales, et notamment sur le pouvoir normatif et disciplinaire des méthodes scientifiques. Elle réalise que la discipline qui organise et structure les communautés scientifiques empêche de prendre le temps nécessaire pour penser et prendre du recul et qu’elle mène plutôt à la compétition des disciplines et des chercheurs entre eux.
« Je me suis dit ‘Flûte, me voilà perdue pour la science !’ Je savais très bien que si je m’amenais avec des questions de fond, on me dirait ‘Mais qu’est-ce que tu fais en sciences ?’ »
Ces réflexions la poussent progressivement à s’engager pleinement dans l’étude de la philosophie des sciences. Elle s’adresse pour cela à l’un de ses professeurs, le seul qui lui semblait capable d’accueillir ses questionnements : Ilya Prigogine.
« Et il se trouve que Prigogine allait devenir, quelques années plus tard, Nobel de chimie[2]. Donc j’ai été embarquée, mais je n’en savais rien, dans cette histoire qui m’a menée à écrire avec lui ce qui est devenu “La nouvelle alliance”, qui est paru fin 1979 ».

La Nouvelle Alliance est un véritable succès éditorial et anime de nombreux débats dans les années qui succèdent sa sortie. Ouvrage dense et complexe, mêlant histoire des sciences, réflexions philosophiques, et développements scientifiques techniques, il présente une métamorphose des paradigmes scientifiques par une transformation de notre perception de la nature. La science moderne a poursuivi l’idéal théorique d’une réalité déterministe et réversible, alors que le dialogue expérimental, y compris en physique, suppose l’irréversibilité et que l’ensemble des phénomènes naturels l’affirment. À travers ces développements, le livre formule une critique de l’hégémonie des sciences physiques. Cependant, cet aspect de l’ouvrage ne fût pas toujours interprété tel que ses auteurs l’ont voulu.
« Je me suis heurtée au fait que ce n’est pas parce qu’on a une idée qu’elle s’impose comme on voulait la formuler. En fait, ce livre a souvent été lu comme : « la bonne nouvelle, la physique nous autorise désormais à parler d’irréversibilité, d’événements, etc…» Donc exactement le contraire de ce qu’on essayait de faire passer… J’ai été frappée par la soumission intellectuelle de beaucoup de disciplines par rapport au modèle de la physique. »
Un peu atterrée, elle y voit néanmoins l’occasion d’aborder la question des savoirs scientifiques à partir de ce qu’ils rejettent et la manière dont ils disqualifient certains types de savoirs. Elle fait la rencontre de Léon Chertok, un psychiatre français vivement critiqué pour son travail sur l’hypnose. Cherchant à comprendre pourquoi l’hypnose subit une forme de répression de la part des psychanalystes, qui la considèrent avec dérision, elle s’aperçoit que les sciences humaines construisent souvent leurs savoirs sur une opposition à ce que les gens « croient » et peuvent ainsi très facilement devenir des outils de discipline sociale. Elles entretiennent un rapport presque « pastoral » à la société, missionnées de tenir le public crédule à l’écart des charlatans. Contrairement aux sciences expérimentales, dans les sciences humaines, bien souvent « la critique remplace l’objection ».
« Les scientifiques ont appris le mépris du public, notamment au contact avec les sciences humaines et sociales. Et c’est ça au fond qui a fait de moi une activiste. C’est-à-dire que l’hypnose m’a permis de comprendre à quel point la nécessité de tenir à distance un public, jugé trop crédule, habitait et empoisonnait les sciences. »
Philosophie et activisme :
Contre le mépris du public
C’est à partir de ces réflexions, et notamment de prises de position au moment où les OGM deviennent un véritable sujet politique en Europoe, qu’Isabelle Stengers dessine les formes de son activisme. Elle investit alors simultanément deux fronts : déconstruire les conditions matérielles et historiques de production des vérités des savoirs « dominants » et donner de l’écho aux savoirs « dominés ». À travers cela, c’est principalement la prétention à l’autorité de la science qu’elle remet en question, les fameux « il est prouvé que… » qui pullulent alors qu’une véritable preuve est un événement rare, qui interviennent partout où il s’agit de faire taire les désaccords. Le rôle de la science au service de l’ordre public constitue désormais pour elle un enjeu politique majeur[3].
« C’est un problème politique puisque le mépris du public, considéré comme un troupeau, c’est l’anti-démocratie par excellence. »
Elle prend alors part à différents mouvements visant à contester l’autorité de cette science dominante. Elle participe à des groupes anti-OGM en Belgique, et sera inculpée avec certains pour une action contre une Ïculture en plein champ, ou encore avec des collectifs, qui travaillent avec des groupes d’usagers de drogue non-repentis[4].
« Dans les années 90, mon premier travail proche des activistes, ça à été sur les politiques d’illégalité de la marijuana. J’ai pris appui sur l’exemple des Hollandais qui, à ce moment là, travaillaient avec les syndicats de drogués, les junkiebonden, pour fabriquer des dispositifs qui impliquent. Et ça a été un moment intéressant ; ces gens, dont on pensait qu’ils étaient des espèces de suicidés de la société, ont produit une véritable pratique politique. »
Pour Isabelle Stengers, la question est donc plus de développer d’autres types de savoirs et d’autres relations aux savoirs, en cultivant l’art des questions pertinentes que de chercher à tout prix à faire progresser la connaissance. Et pour cela, pour faire émerger ces bonnes questions, le levier essentiel semble être de provoquer des rencontres collaboratives. La science ne doit pas se poser comme une redéfinition des pratiques étrangères au champ scientifique mais comme une manière d’irriguer ces pratiques et d’apprendre d’elles et avec elles.
« Cela sous-entend de ne pas poser le problème comme un progrès ; le progrès c’est “avant/après…”. Il faut plutôt aller vers un “et ici…, et ici…” ; “et…, et…, et…” pas une temporalité d’avant/après. C’est cette temporalité qui a fait les pires dégâts. Au fond, il s’agit d’étendre le “et si…” expérimental, mais pas au labo : avec les gens. »
C’est aussi cette volonté de d’apprendre avec d’autres et grâce à d’autres, et de briser ce rapport pastoral de la science au public qui a amené Isabelle Stengers à se pencher sur les expérimentations de conférences de citoyens et la proposition de conventions de citoyens portée par l’association Sciences Citoyennes[5].
De tels dispositifs paraissent alors intéressants à expérimenter pour mettre les citoyens dans les bonnes conditions pour se rendre capables de se mêler de ces sujets. Elle reste néanmoins lucide sur le fait que ces instances ne s’obtiendront pas sans établir un rapport de force à la hauteur des enjeux qu’ils soulèvent.
« Pour moi, c’est quelque chose qui sera refusé au nom de la défense de la croissance économique, de l’innovation et de l’ordre public. Il faut s’en servir de manière expérimentale, et ne surtout pas s’étonner que cela ne soit pas une voie royale ouverte. C’est normal, ça gêne. Ça gène tous les intérêts établis. Donc c’est en tant que révélateur de “qui est-ce que cela gêne ?” que ça devient, dès aujourd’hui, intéressant. »
Mettre en mouvement les imaginaires
Avec toute sa malice, Isabelle Stengers nous invite à poser la question des sciences sur un mode qui permet d’activer l’imagination. Plutôt qu’une accusation essentialiste des sciences, elle appelle à s’en servir pour irriguer les possibles et penser comment les choses pourraient être autrement. Finalement, il s’agit en quelque sorte de se donner les moyens de se réapproprier les questions que pose la science et que souvent elle mutile.
« Cela nécessite de penser par le milieu. Les sciences aujourd’hui tout à la fois demandent et impliquent un milieu désertifié, pour qu’elles changent, leur milieu doit être repeuplé. Les choses peuvent aller vite, mais les pouvoirs n’accepteront pas cela spontanément, cela doit être reconquis. »
Elle appelle à créer des rencontres insolites pour faire des événements de ces sujets, leur permettre d’investir différents espaces – culturels, artistiques, médiatiques, etc… afin de les libérer des formes de pédagogie où on « explique », où on « partage » des savoirs fabriqués ailleurs. Ce qu’il s’agit de partager ce sont d’abord les problèmes politiques qu’ils soulèvent. À travers cela, c’est surtout l’occasion de prendre goût, et donc d’exiger, de nouveaux moyens de parler des savoirs et d’activer les imaginations. De construire la possibilité de faire autrement.
« Il y a des gens qui savent faire des “événements” de ces sujets. Je me souviens que, au début, avant que l’OMC ne soit créée, il y avait déjà le sinistre Pascal Lamy avec son “on n’arrête pas les horloges”. Mais si j’avais été artiste, j’aurais pris ce “on n’arrête pas les horloges” et j’en aurais fait une montagne ! J’en aurais fait une horreur telle… Il devrait y avoir des gens qui réussissent à fabriquer des espèces de ritournelles explosives. »

L’heure de tous (1975) de l’artiste français Arman Cour du Havre à Paris. Tous les cadrans des horloges y sont arrêtés.
À l’image de L’heure de tous, les terrains artistiques et culturels sont autant d’espaces à investir pour déconstruire ces hégémonies de certaines formes de connaissances. La place de la culture (entendue au sens le plus large) dans l’importance donnée à tel ou tel type de savoirs est primordiale pour faire exister des savoirs qui soient émancipateurs. À titre d’exemple, Isabelle Stengers mobilise la manière dont différents mouvements activistes ont entrepris des rapprochements pratiques avec des communautés indigènes dans la lutte pour la défense de leurs droits. Les croisements qui en résultent sont tout à fait intéressants pour dessiner les formes de nouveaux rapports aux savoirs.
Dans le même temps, il faut pouvoir se donner les moyens d’une science exigeante, où on ne peut pas laisser dire n’importe quoi. Un des rôles les plus pervers de cette institutionnalisation du rôle de pasteur est que les scientifiques ont parfois du mal à critiquer les travaux et promesses de leurs collègues, de peur que « les gens ne perdent confiance dans la science ». Il faut pouvoir trouver des moyens de déconstruire ces promesses et dérives. Et pour cela, la culture et l’humour sont des outils à investir en priorité.
« J’aime bien l’idée d’une “science responsable”. Parce que l’idée de “oh non, nous on veut continuer à être irresponsables” est assez dure à tenir. Il faut pouvoir rendre risibles les manières dont certaines positions se défendent. Parce que dénoncer est plus que facile, et on ne s’en prive pas. Mais apprendre à rire, à se moquer. Il faut le faire quoi, c’est une position qui offre une certaine prise. »
Propos recueillis et synthétisés le 18 juin 2019, actualisés le 25 avril 2023 par Edgar Blaustein et
Thomas Germain pour le processus SSD
Ressources :
- C’est notamment la lecture du livre « Les Somnambules » de Arthur Koestler qui provoque cette prise de conscience chez Isabelle Stengers. Dans son livre Koestler décrit une transformation des conceptions du ciel et du cosmos, depuis les Anciens jusqu’à Newton, et qui se conclut par une mise en parallèle entre l’astronomie pré-keplerienne et la mécanique quantique. Il suppose que la physique quantique est dans un état aussi instable que l’était l’astronomie née à Alexandrie : qu’elle attend un nouveau Kepler qui « brisera le cercle » et fera disparaître les « épicycle qui permettaient encore à Copernic d’attribue un mouvement circulaire aux planètes. Isabelle Stengers cherche alors à comprendre pourquoi elle n’a pas perçu ces problèmes lorsqu’elle suivait ses cours de mécanique quantique. C’est le point de départ de sa réflexion sur la discipline qui canalise l’imagination des scientifiques. » ↩︎
- Ilya Prigogine (1917-2003) est un physicien, chimiste et philosophe belge. Il a reçu le prix Nobel de chimie en 1977 pour ses contributions à la thermodynamique des processus irréversibles et spécialement à la théorie des structures dissipatives. Il a en particulier montré que quand la matière est éloignée de son l’état d’équilibre, elle peut s’organiser d’elle-même. De tels phénomènes se manifestent aussi bien en en physique qu’en biologie ou dans les événements climatiques de type tornade. Apparaissent alors des configurations nouvelles qui semblent contredire l’accroissement perpétuel d’entropie que prédit la thermodynamique mais Prigogine a montré que cet « ordre né du chaos » se paie par une dissipation (irréversible) d’énergie fournie par le monde extérieur. Comprendre la structuration des formes de la nature demande alors de s’adresse, à toute échelle, à des syst èmes ouverts, maintnus loin de l’équibre pat leur rapports à l’environnement. Source : Universalis.fr : PRIGOGINE Ilya (1917-2003). ↩︎
- C’est ce qu’elle fustige particulièrement dans Sciences et pouvoirs paru aux éditions La Découverte en 1997. ↩︎
- Isabelle Stengers et Olivier Ralet, « Drogues, le défi hollandais », Les empêcheurs de penser en rond, 1991. ↩︎
- Depuis 2005, Sciences Citoyennes porte un plaidoyer pour la mise en place d’un dispositif de conventions de citoyens. Plus d’information sur : https://sciencescitoyennes.org/convention-de-citoyens/ ↩︎
par SSD | 23 Mai 2023 | Actualités, Sciences et Engagements - Portraits de scientifiques et militants
Jean-Marc Lévy-Leblond est physicien, essayiste, épistémologue, professeur émérite de l’université de Nice. Au cœur du courant de critique des sciences, il travaille depuis de nombreuses années les problématiques que nous soulevons avec le processus « Sciences-Sociétés-Démocratie ». Il a apporté de nombreuses contributions sur la place des sciences dans la société, leur histoire ainsi que leur dimension culturelle et politique.

Aux origines d’une contestation de/dans la science
En revenant sur son parcours et sur la construction progressive de sa posture de « critique de science »[1], Jean-Marc Lévy-Leblond nous raconte comment les années 60, période d’intense critique sociale, furent également le terreau de riches débats autour du rôle de la science dans la société. Lorsqu’il entre à l’ENS de la rue d’Ulm en 1958, pour y faire des études de physique, le mouvement étudiant est extrêmement politisé et ce dans une atmosphère teintée du marxisme alors dominant à l’extrême gauche. Cette pensée propose une vision essentiellement positive du rôle social de la science : malgré son dévoiement par le système capitaliste, faire de la science semble en soi « politiquement juste » pour les jeunes chercheurs proches du parti communiste.
« La théorie marxiste, du moins telle qu’elle est vulgarisée à l’époque, affirme que l’émancipation sociale et politique est intimement liée au développement des forces productives, lequel serait non moins intimement lié au progrès de la connaissance scientifique. Et donc, dans les années 60, les jeunes communistes se placent dans une perspective où la science est, par essence, un facteur de libération ».
Comme c’est le cas sur beaucoup de sujets, le bouillonnement intellectuel de 1968 marque un tournant idéologique majeur autour de ces questions. Cette vision d’une science qui serait bonne « par essence » divise de plus en plus le milieu scientifique. On assiste à une progressive prise de conscience de la manière dont l’organisation de la recherche est liée à la structure sociale et participe à différents systèmes de domination idéologiques. Nombre de jeunes chercheurs adoptent une posture de plus en plus radicale, en opposition avec les mandarins installés dans les institutions.
De multiples et diverses positions critiques sur la science se développent et alimentent un riche débat sur les implications de la recherche scientifique en termes démocratiques, économiques, sociaux, etc… dont notre jeune physicien est l’un des protagonistes majeurs. Par ailleurs, au-delà des mouvements de 68, la montée des mouvements écologistes durant les années 70 – y compris au sein des milieux scientifiques – amène de nouvelles vagues de postures critiques sur les conséquences environnementales des développements scientifiques. Des personnalités comme Alexander Grothendieck, et les auteurs de la revue « Survivre… et Vivre » [2] fustigent une science qui serait uniquement au service des intérêts du capital, devenant la cause principale des rapports de dominations et des dégradations environnementales.
« Alors là, il va y avoir des grands débats. La position que je prendrai avec un certain nombre de mes amis sera quelque peu différente parce que nous ne voulons pas singulariser l’activité scientifique et la séparer des autres. Nous considérons que l’activité scientifique, c’est une partie de l’activité sociale globale, qu’elle en partage tous les traits, les pires et les meilleurs, et qu’on ne peut pas la considérer comme un aspect fondamental, causal, de la situation. »
Ce contexte d’intenses débats sur la science et la variété des positions critiques donne lieu à une floraison de groupes et d’initiatives ainsi qu’à une large production de textes et d’idées, que Jean-Marc Lévy-Leblond et Alain Jaubert rassemblent en 1972 dans un ouvrage collectif intitulé (Auto)critique de la science[3].

(Auto)critique de la science est un ouvrage collectif rassemblant des contributions d’un certain nombre de scientifiques, dont beaucoup ont préféré garder l’anonymat, conformément à l’esprit de l’époque. Il agrège une très large sélection de textes de l’époque, comme une sorte d’anthologie des réflexions de ce mouvement protéiforme.
Dans la continuité de cet ouvrage, Jean-Marc Lévy-Leblond crée avec quelques amis la revue Impasciences[4] pour continuer ce travail collectif. Ce projet va petit à petit s’essouffler avec, entre autres facteurs, le tournant libéral que représente l’arrivée de Giscard à la tête de l’Etat. Si elle ne satisfait nullement le collectif, elle vient marquer une forme de détente politique et idéologique et les critiques virulentes que portent les mouvements radicaux perdent de leur impact.
« Les affrontements idéologiques directs perdent un peu leur sens. On est désormais face à un adversaire qui est plutôt un édredon qu’un mur […] On rentre dans une phase, je ne dirais pas d’arrêt, mais de latence. Les expressions les plus vives du mouvement deviennent sous-jacentes, comme un fleuve qui s’enfonce et court sous la surface. »
Jean-Marc Lévy-Leblond essaie de maintenir la visibilité et le développement des postures radicales quand il prend la direction de la collection « Science Ouverte » au Seuil, qu’il dirige à partir de 1972.

Inscription sur une tour de la Faculté des Sciences de Paris, en 1969. Tirée de l’ouvrage (Auto)critique de la science (p.307)
En se repenchant sur les apports de ces contributions, Jean-Marc Lévy-Leblond constate que si elles n’ont eu guère d’effets tangibles à court terme, elles ont nourri un certain nombre de débats de fond et contribué au développement, voire à l’émergence de différents mouvements.
« Rien d’essentiel n’a changé quant à l’organisation des institutions scientifiques. Nous étions trop peu nombreux, et beaucoup ont été très vite repris dans le système. […] Je pense cependant que sous des formes qu’il serait intéressant d’analyser de près, des filiations existent avec divers mouvements actuels. Le fait même que vous m’interrogiez, d’une certaine façon, le montre. »
Il revient par exemple sur l’émergence du mouvement des boutiques de sciences, créées dans les années 70 pour casser les frontières entre les institutions scientifiques et la demande sociale. Elles constituent en quelque sorte les premières briques de ce que l’on désigne aujourd’hui par « recherche participative ». Les offensives institutionnelles à l’encontre de ces espaces sont de bons exemples du conflit suscité par ces débats[5].
Quelle critique des sciences aujourd’hui ?
Malgré les différentes filiations et poursuites de ces réflexions de fond, Jean-Marc Lévy-Leblond se montre assez pessimiste sur la situation de la recherche scientifique et sa capacité à évoluer. Ces dernières décennies ont en effet été le théâtre d’une confluence accélérée entre science et technologie et d’un recul du secteur public face au secteur privé dans la recherche qui réduit énormément la marge de manœuvre critique sur la science.
« Aujourd’hui je ne vois plus guère de différences entre les laboratoires de recherche d’une multinationale et ceux d’un institut de biologie du CNRS – qui d’ailleurs à de bonnes chances de dépendre des premiers pour ses financements. »
La place des sciences dites « fondamentales » n’a fait que reculer, au profit d’une science instrumentale, qui vise à développer des innovations technologiques, dans une perspective essentiellement économique. Les logiques de financement de la recherche fonctionnent de plus en plus par contrats et visent un retour sur investissement à court terme qui contraignent les activités de recherche à des objectifs de rentabilité.
« Cette course aux contrats et aux financements correspond à un désengagement partiel de l’État et à une implication de plus en plus grande du secteur privé et du marché. Finalement – je vais le dire de façon un peu caricaturale – c’est à mon avis la notion même de science qui est en train de changer fondamentalement. »
Jean-Marc Lévy-Leblond insiste sur le fait que la convergence entre science et technique est, historiquement, relativement récente. Pendant très longtemps la technique n’a pas eu besoin de la science pour se développer et les savoir-faire artisanaux suffisaient aux pratiques techniques.
« Les maçons et les charpentiers grecs n’ont nullement besoin des théorèmes d’Euclide, ils savent pertinemment comment construire des perpendiculaires, des parallèles etc… »
Ce n’est qu’assez tardivement que se concrétise une approche plus instrumentale de la science, permettant la maîtrise rationnelle de la matière, des flux, la transformation des milieux, etc… C’est notamment le célèbre énoncé du Discours de la méthode de René Descartes affirmant que « Grâce à la science, nous pourrons nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », ou des positions analogues chez des philosophes de la même période comme Francis Bacon[6].
Jean-Marc Lévy-Leblond note que ce projet ne s’est en réalité matérialisé que plus tard, vers la fin du XVIIIème siècle avec des développements scientifico-technologiques majeurs tels que la chimie moderne et, peu après, la thermodynamique[7].
« Cette idée que c’est la science qui susciterait le développement technique est, à l’échelle de l’histoire du développement humain, tout à fait récente. Elle ne s’est concrétisée qu’il y a à peine plus de deux siècles. […] Le monde tel que nous le connaissons est un monde très jeune. Il n’est donc pas très surprenant que nous n’ayons qu’assez peu de modes de compréhension et d’action à son égard. »
Rationalité, vérités et luttes politiques
On a cherché à savoir si l’enjeu de rationalisation et d’établissement de « vérités » devenait, pour Jean-Marc Lévy-Leblond, le terrain des affrontements politiques autour des questions scientifiques et techniques (reposant sur la méthode, l’évaluation, la confrontation et la diffusion des résultats avec notamment la problématique des fake news). Il s’est en fait montré plutôt réservé sur cette idée. Au travers d’exemples comme le nucléaire, la malaria ou le virus du sida, il considère que ce ne sont pas à proprement parler les questions scientifiques qui sont les enjeux du débat mais bien plutôt l’organisation socio-technique qui les produit.
« Le point, me semble-t-il, c’est que, de même que la science se noie dans la technoscience, les questions proprement scientifiques se noient dans des questions techniques où les scientifiques n’ont guère de compétences […] L’argumentation purement scientifique au sens propre perd une bonne partie de son importance, au profit d’un débat beaucoup plus large qui concerne bien plus des questions techniques et économiques que des questions proprement scientifiques. »
Par ailleurs, l’importance donnée à la recherche de la vérité lui parait trompeuse. Car dans la plupart des cas, la véracité d’un énoncé dépend de critères spécifiques et précis[8]. Pour ces raisons, Jean-Marc Lévy-Leblond se montre finalement assez sceptique sur les impacts que peuvent avoir les fake news et la « post-vérité » sur les problématiques techno-scientifiques, mais plutôt préoccupé par l’étendue de notre persistante incompréhension de divers phénomènes naturels qui sous-tendent le développement des technosciences.
« On doit bien constater qu’il n’est pas nécessaire de tout savoir pour faire. C’est même le propre de la technoscience actuelle. Il est possible de transformer le monde sans vraiment le comprendre ! »
La culture de/dans la science
Jean-Marc Lévy-Leblond nous amène en guise de conclusion sur un sujet qui lui est cher et qu’il observe de près dans ses questionnements sur le rapport science-société : La relation qu’entretiennent – ou pas ! – les sciences et technologies avec la culture au sens le plus large[9]. Il déplore le manque criant de représentations et de mise en perspective de l’activité techno-scientifique dans le paysage culturel
« Le rôle capital que jouent le monde techno-scientifique et ses acteurs, les chercheurs, ingénieurs, etc… n’est guère visible dans la création culturelle actuelle. »
Si de nombreuses œuvres nous donnent diverses clés de lectures sur la vie sociale, les relations individuelles, l’histoire politique, etc., l’activité techno-scientifique, elle, malgré le rôle structurant majeur qu’elle joue dans la société n’est que peu représentée.
« Les représentations du monde, caractéristiques de la société humaine, qui constituent la culture, il me semble qu’il est fondamental de les étendre à la science pour approfondir notre compréhension d’un monde qui, comme je le disais tout à l’heure, est beaucoup plus jeune que ce que l’on croit. »
Propos recueillis le 4 mai 2019 et synthétisés par Edgar Blaustein et Thomas Germain pour le processus SSD
Bibliographie
Ouvrages de Jean-Marc Lévy-Leblond :
- L’Esprit de sel (science, culture, politique), Seuil, 1984
- La Pierre de touche (la science à l’épreuve), Gallimard, 1996
- Aux contraires (l’exercice de la pensée et la pratique de la science), Gallimard, 1996
- Impasciences, Seuil (Points-Sciences), 2003
- La Science en mal de culture, Futuribles, 2004
- La Vitesse de l’ombre (aux limites de la science), Seuil, 2006
- La Science (n’)e(s)t (pas) l’art, Hermann, 2010
- Le Grand écart (la science entre technique et culture), Manucius, 2012
- La Science expliquée à mes petits-enfants, Seuil, 2014
- Le Tube à essais (Effervesciences), Seuil, 2020
Références :
- De la même manière que chez Jacques Testart qui se revendique critique de science, il faut y voir une approche critique qui serait analogue à celle d’un critique d’art. Cette démarche vise à permettre aux citoyens de pouvoir porter des jugements sur les institutions et leurs productions, pour une mise en démocratie des technosciences.
Voir à ce propos l’article « Pour une critique de science », sur le site Science Critiques ↩︎
- Les numéros de la revue Survivre et vivre ont été entièrement numérisés et sont disponibles à cette adresse : http://science-societe.fr/survivre/ ↩︎
- La version numérique de l’ouvrage est disponible à cette adresse : http://science-societe.fr/autocritique-de-la-science/ ↩︎
- Disponibles également en version numérisée sur : http://science-societe.fr/impascience/ ↩︎
- Pour plus d’informations sur les boutiques de sciences, voir l’ouvrage de Glen Millot, Boutiques des sciences – La recherche à la rencontre de la demande sociale ↩︎
- Bacon, à travers la phrase « On ne commande la nature qu’en lui obéissant » met en évidence l’affinité entre la connaissance théorique et l’opération technique et pratique, ce qui lui vaudra d’être accusé d’utilitarisme par certains historiens des sciences
(Source : Page Wikipédia sur Francis Bacon). ↩︎
- La révolution chimique, ouverte par les travaux de Lavoisier sur la combustion et l’oxydation vient bouleverser les paradigmes conceptuels et méthodologiques de la chimie de l’époque et ouvre la voie à un grand nombre de développements technologiques tels que les engrais, les colorants, de nouveaux explosifs, etc. ↩︎
- Il prend souvent l’exemple du triangle rectangle, dont les propriétés exprimées par le théorème de Pythagore ne sont en réalité valables que sur un plan euclidien (et donc faussées sur la surface de la terre, qui est sphérique). ↩︎
- Voir la revue Alliage (culture, science, technique), fondée en 1989 par Jean-Marc Lévy-Leblond, dont le N°80 est sous presse : http://revel.unice.fr/alliage/ et alliage@unice.fr. ↩︎
par SSD | 15 Mai 2023 | Actualités, Sciences et Engagements - Portraits de scientifiques et militants

Cyril Fiorini a soutenu sa thèse de doctorant en Sciences, techniques et société (STS) le 21 mars 2023 au sein du laboratoire Histoire des technosciences en société du Conservatoire national des arts et métiers (HT2S-Cnam). Sa thèse s’intitule « La co-production des savoirs en pratiques au tournant du XXIe siècle. Études de cas sur la mise en œuvre et la conduite des collaborations entre chercheurs et acteurs associatifs dans les domaines de la santé, de l’environnement et de la lutte contre la pauvreté »[i].
Il fut salarié de l’association Sciences Citoyennes pendant plus d’un an et demi avant d’engager un contrat doctoral en octobre 2016 pour réaliser sa thèse. Il est resté en lien avec l’association pendant son contrat doctoral puisqu’ il a réalisé pendant ces trois ans une mission d’expertise pour Sciences Citoyennes[ii]. Sa thèse toujours en cours, Cyril a ensuite repris un poste à temps plein au sein de l’association en janvier 2021.
Les liens entre les acteurs de la recherche et la société civile sont au cœur des travaux qu’il mène ainsi que de son engagement personnel. Son témoignage sur les liens entre les chercheurs et le monde associatif nous est donc précieux pour approfondir notre travail et dégager des modalités d’actions et recommandations autour de ces questions.
De militant et scientifique à militant scientifique
Revenant sur son parcours, Cyril nous confie avoir commencé des activités militantes et associatives dès ses premières années d’études, lors de son cursus en sociologie politique à l’Université Paris 13 (Villetaneuse, 93). Il prend des responsabilités dans un syndicat étudiant avant de le quitter pour créer, avec des amis, une liste alternative aux organisations alors en place sur l’université. Il obtient via celle-ci des mandats de représentant étudiant au sein du Conseil d’UFR et au sein du Conseil d’administration de l’Université.
« J’ai commencé à avoir des activités militantes dans ce cadre-là, et je me suis inscrit aussi assez vite dans des actions associatives, notamment avec l’association Survie, qui travaille sur les questions de Françafrique, de relations vicieuses que la France maintient avec les territoires qui étaient des anciennes colonies notamment. »
Lorsqu’il décide ensuite de s’engager pour la première fois dans la réalisation d’une thèse en Science politique à l’Université Paris 8 (2009-2011, thèse non financée), il continue en parallèle ses activités militantes et associatives par différents biais. Jusque-là, les démarches militantes et professionnelles qu’il conduit conjointement se font dans deux espaces séparés. Progressivement ces deux champs ont commencé à converger.
« Bon cette thèse, pour diverses raisons, n’a pas abouti. Je l’ai abandonnée dans sa deuxième année, mais en sortant de cette expérience-là, mes expériences professionnelles se sont inscrites aussi dans le champ universitaire. »
Cyril a par la suite accumulé plusieurs contrats de travail sur des missions de recherche scientifique ou d’expertise avant d’occuper un poste à Sciences Citoyennes en 2015 en tant que salarié. Il y est embauché pour travailler spécifiquement sur la recherche participative et agir pour la démocratisation des sciences[2]. L’enjeu de la recherche participative est de faire en sorte que les citoyens organisés soient associés à la démarche de recherche dès la formulation des enjeux de la recherche et des questions soulevées et à toutes les étapes du processus de co-production de savoirs.
« C’est un peu là où se crée un véritable nœud dans mes deux dimensions : militante et professionnelle en recherche. »
Face aux dogmes de la recherche
Cyril précise, s’il en faut, que cette approche de la recherche est en décalage parmi les dogmes dominants dans les institutions scientifiques. Si les pratiques associant les non-scientifiques sont de plus en plus répandues, à l’image des « sciences participatives » et de dispositifs mis en place par différentes institutions[3], dans une immense majorité des cas les non-scientifiques restent cantonnés à des travaux de collecte, voire d’analyse de données, mais ne sont que rarement impliqués dans la formulation des problématiques et le cadrage méthodologique de la démarche de recherche (même si des contre-exemples pourraient être évoqués).
Cette emprise institutionnelle sur les objets de recherche constitue un véritable enjeu politique autour des sciences et leurs applications. Les différentes institutions de recherche ont du mal à faire évoluer leurs cadres pour intégrer ces logiques, et de nombreuses réticences sont éprouvées. Pour illustrer cela, Cyril revient sur la publication par le Comets – le comité d’éthique du CNRS – d’un avis sur les « sciences citoyennes » sorti en juin 2015[4].
« Le CNRS a compris qu’il y avait une démarche, au sein de la société, d’ouverture de la recherche scientifique aux citoyens et citoyennes et a donc considéré que c’était tout à fait intéressant que la recherche publique puisse s’appuyer sur la récolte de données réalisée par les citoyens et citoyennes parce que ça permet de créer une sensibilisation au travail scientifique de la population, de faire découvrir le champ des pratiques scientifiques aux citoyens et citoyennes, tout en préservant l’autonomie de la recherche, des orientations de la recherche, du processus même de la production scientifique. »
Suite à ce rapport, Cyril a travaillé avec l’équipe de Sciences Citoyennes, à la rédaction d’une réponse au Comets[5], reprenant point par point les enjeux sur lesquels le CNRS leur semblait faire fausse route. Cette réponse formulait par ailleurs une invitation à discuter collectivement de ces sujets, à laquelle Sciences Citoyennes n’a jamais eu de réponse.
De la même manière, quand quelques années plus tard il a travaillé avec l’association ATD-Quart Monde sur l’organisation d’un colloque au CNRS sur la recherche participative, Sciences Citoyennes s’est progressivement vue évincée des échanges sur l’organisation du colloque.
« C’est à ce moment là où j’ai su qu’il y avait un véritable conflit. C’est là où j’ai pris conscience qu’à travers la position de Sciences Citoyennes, il y avait véritablement un dogme très fort au sein des institutions de recherche. »
Pour lui cette rupture se situe à deux niveaux :
Le premier niveau pourrait trouver sa source dans la conception même du rôle de la recherche au sein de la société et sa capacité à produire des « vérités ». Il revient sur l’héritage des Science and Technology Studies (terme anglais qui correspond à son propre champ de recherche : Sciences, techniques et société), qui ont contribué, ces trente dernières années, à montrer le rôle politique fort de la production des savoirs dans la société. La production scientifique étant en permanente co-influence avec la sphère sociale, elle est en conséquence tout sauf neutre. La manière dont s’élabore et se légitime un socle de savoirs est déterminante pour toute décision politique, car celle-ci se légitime en se fondant sur les pseudo “vérités” édictées par les sciences.
« Si aujourd’hui on devait remettre en question le fait que la recherche scientifique n’est plus si fiable que ça, cela commencerait à rendre très fébrile le cadre même institutionnel de notre régime politique, donc il y a un enjeu très fort au niveau institutionnel. »
Mais il identifie également un second enjeu, plus individuel, à savoir la construction identitaire du chercheur lui-même. Outre son titre, le chercheur est valorisé socialement par sa qualité « d’expert » sur un sujet ou par la singularité de son approche sur une thématique. Le fait d’ouvrir ce cadre de recherche au plus grand nombre met en danger sa posture et la reconnaissance sociale de son travail. Cela peut parfois constituer de véritables réticences à l’ouverture de la démarche de recherche portée.
« Aujourd’hui, qu’un chercheur modifie ses pratiques en acceptant que des non-chercheurs soient au moins aussi experts que lui sur ses objets de recherche, cela remet en cause tout le processus de construction identitaire qu’il a engagé depuis son doctorat, peut-être même avant. ».
Comment changer le cadre institutionnel
Malgré ces quelques freins, Cyril a pu constater qu’il y a malgré tout une volonté croissante, aussi bien des chercheurs que de la société civile, d’établir un dialogue et de développer une véritable co-production des savoirs. Il revient par exemple sur le dispositif CO3 : Co-Construction des connaissances, que Sciences Citoyennes a contribué à faire émerger, en 2018, dans le cadre d’une convention avec l’ADEMEet en partenariat avec la Fondation Charles Léopold Mayer-FPH, la Fondation de France, Agropolis Fondation et la Fondation Carasso. Les trois appels à projets de recherche participative lancés par le dispositif CO3 en 2018, 2019 et 2021 ont été fortement plébiscités.
« Ce qui émerge de ce constat-là, c’est qu’il y a des chercheurs qui y sont sensibles et qui pensent que la recherche participative peut leur correspondre et qui sont prêts à s’engager dans des appels à projets. En face, on a au moins le même nombre d’acteurs associatifs qui sont prêts à travailler avec la recherche scientifique et qui y voient un intérêt pour eux dans une démarche de co-production de savoirs, mais la réalité est que le soutien institutionnel à ces dispositifs-là est quasiment inexistant. »
Au-delà de la posture individuelle des chercheurs, c’est surtout le cadre institutionnel, et notamment l’attribution des financements ainsi que la valorisation des travaux produits dans des cadres non-standards qui doivent évoluer. En effet, les financements pour ces dispositifs sont extrêmement faibles et très peu de soutien de la part des institutions de recherche vient appuyer de telles démarches.
Par ailleurs, la valorisation des travaux produits dans ces cadres reste encore complexe, notamment par la diversité de méthodologies d’évaluation de ce qui est produit.
« Il y a une évaluation au niveau du protocole, et ça c’est quand même assez arbitraire sur la manière dont on doit considérer que le processus est scientifique ou pas, parce qu’on voit bien que selon les disciplines les méthodologies ne sont pas les mêmes et qu’au cœur même d’une discipline il y a un développement méthodologique très différent. »
Co-production des savoirs et démocratie
Si le rôle politique de la production des savoirs n’est plus à démontrer, la manière dont ces savoirs sont valorisés, négociés et utilisés par la suite mérite d’être débattue. La question de la légitimation du savoir est donc centrale dans les enjeux identifiés par Cyril et Sciences Citoyennes autour de la recherche participative. Les savoirs à intégrer pour appuyer une décision politique sont un facteur décisif et l’arbitrage par rapport à ces savoirs se fait très souvent sans la moindre implication citoyenne. C’est pourquoi les pratiques de recherche participative constituent pour lui un moyen d’améliorer le fonctionnement d’une société démocratique.
« Je pense que le CNRS et d’autres institutions sont bien au courant du poids que peut avoir la recherche scientifique et le lien avec le champ politique, parce que le CNRS dans ses missions, c’est très explicite, doit « appuyer le progrès économique » […] Donc il y a, de toute façon, un lien très fort entre production scientifique et développement économique, avec une vision particulière de ce que doit être l’économie d’un pays. »
L’enjeu démocratique est de taille, compte tenu de la manière dont la recherche scientifique et le développement technologique structurent l’ensemble de la société.
À travers sa thèse, Cyril cherche à observer ce que les collaborations entre chercheurs et associations apportent à la démocratie à travers des processus de recherche participative (co-production de savoirs). Pour cela, la question qui lui apparaît comme centrale est de s’accorder sur ce qu’on met derrière le mot « démocratie » et les procédures et institutions qui garantissent son fonctionnement.
« Pour moi il y a un deuxième champ ici, sur lequel on ne se questionne pas beaucoup : comment incorporer ces pratiques-là dans le processus décisionnel ou de transformation sociale ? Et donc le lien entre recherche participative et démocratie, pour moi, ne se situe pas qu’au niveau de la pratique de la recherche participative mais il porte aussi sur la manière dont on inscrit institutionnellement la recherche participative dans la construction de la société, dans son fonctionnement. »
Propos recueillis et synthétisés le 24 avril 2019, actualisés le 18 avril 2023 par Edgar Blaustein et
Thomas Germain pour le processus SSD
Références :
- Décret n° 2016-1173 du 29 août 2016 modifiant le décret n° 2009-464 du 23 avril 2009 relatif aux doctorants contractuels des établissements publics d’enseignement supérieur ou de recherche. ↩︎
- Pour plus d’informations sur la recherche participative, consulter le dossier de Sciences Citoyennes sur la recherche participative
- Voir par exemple le programme Vigie Nature du Muséum d’Histoire Naturelle ou l’OPEN – Observatoire Participatif des Espaces et de la Nature ↩︎
- Avis du COMETS Les «sciences citoyennes» Résumé – CNRS ↩︎
- Positions de Sciences Citoyennes adressées au COMETS du CNRS ↩︎
- Dans « Agir dans un monde incertain » (2001), Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe définissent le concept de démocratie technique pour désigner les formes de discussions qui naissent des confrontations autour d’enjeux scientifiques et techniques. Il en résulte une forme d’enrichissement de la démocratie par l’imbrication de participations d’acteurs très hétéroclites que l’on n’aurait habituellement pas retrouvé dans l’espace du débat public sur des dossiers techniques (acteurs associatifs, riverains, familles de malades, artistes…). ↩︎
[i] Le discours de la soutenance de thèse de Cyril est accessible ici.
[ii] Décret n° 2016-1173 du 29 août 2016 modifiant le décret n° 2009-464 du 23 avril 2009 relatif aux doctorants contractuels des établissements publics d’enseignement supérieur ou de recherche.
par SSD | 9 Mai 2023 | Actualités, Sciences et Engagements - Portraits de scientifiques et militants
Le parcours de Jacques Testart, son intérêt pour la science ainsi que ses positionnements militants l’ont amené à de nombreuses reprises à questionner le rôle des sciences dans la société et son articulation avec la démocratie. Il était donc, pour nous, capital de recueillir son témoignage pour nourrir les réflexions entamées avec le groupe « Sciences–Société-Démocratie » sur le lien entre la recherche et l’expertise et les mouvements sociaux.

Co-fondateur de l’association Sciences Citoyennes et animé depuis de nombreuses années par la volonté de construire un cadre démocratique autour des enjeux posés par les développements scientifiques et technologiques, Jacques Testart a naturellement accepté de revenir avec nous sur son parcours et de nous faire part de son analyse concernant les enjeux démocratiques actuels.
Du scientiste convaincu au critique de science
En revenant sur le début de son parcours Mr. Testart nous explique que, en grand passionné de sciences, il a longtemps placé de grands espoirs dans les progrès de la science et des technologies pour élucider les grands problèmes auxquels font face nos sociétés. Ses différentes expériences au sein de grands laboratoires de recherche français l’ont progressivement confronté à des absurdités et des déceptions qui l’ont finalement amené à adopter une posture plus critique.
« Je viens de loin parce que, comme la plupart des chercheurs, j’étais un scientiste indiscutable. Donc je ne croyais pas du tout que les citoyens aient à se mêler de la science, c’était l’affaire des savants. »
La carrière scientifique de Jacques Testart commence dans les années 60, à l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique, aujourd’hui Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, INRAE) au sein d’un programme de recherche européen qui travaillait sur les moyens d’augmenter la production de lait chez les bovins. Pour cela, il lui fallait trouver un moyen de multiplier les meilleures vaches laitières afin d’augmenter les rendements des exploitations agricoles. C’est dans ce cadre qu’il imagine le principe des mères porteuses, pour faire porter à des génisses “classiques” des embryons venus de haute productivité laitière. En 1972, il obtient les premiers veaux issus de cette technique. Mais au même moment, il s’aperçoit que l’Europe fait face à des excédents laitiers et se voit contrainte de diminuer la production. Il se rend alors compte d’une déconnexion absurde entre les enjeux de la programmation de la recherche et les besoins quotidiens des citoyens.
« Comme à l’occasion de ces travaux-là, j’étais allé dans des élevages pour faire des récoltes et transferts d’embryons, j’ai connu d’une part les industriels de l’élevage et les grosses coopératives mais j’ai aussi connu des paysans. Je n’en avais encore jamais rencontré. Et je me suis aperçu que c’était dégueulasse, parce que cette technique là, finalement si elle avait prospéré, elle aurait provoqué la ruine d’encore plus de petits paysans qui n’auraient pas pu couvrir les coûts. »
En rencontrant différents acteurs et en sortant de son laboratoire, le chercheur a pu prendre la mesure de ce que peuvent produire les innovations techniques et scientifiques. Ce bel exemple de l’influence mutuelle des sciences et de la politique l’a poussé à se distancier de cette technoscience[1] qu’il qualifie volontiers d’industrie. Abandonnant alors la recherche agronomique, il se tourne progressivement vers la médecine pour mettre l’expertise qu’il a accumulé au profit d’un objectif plus « noble » : aider les couples stériles à avoir des enfants. C’est donc ainsi qu’il commence à travailler sur la procréation humaine, dans un laboratoire à l’hôpital de l’assistance publique de Clamart. C’est à ce moment qu’il permet le développement des techniques de fécondation in vitro, qui donneront naissance, en 1982, à Amandine, le premier bébé éprouvette français.
À partir de là, la société est animée par de vifs débats éthiques autour de l’utilisation de ces techniques. Si l’innovation est salutaire pour des couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants, elle pose de nombreuses questions sur les dérives de congélation ou de sélection de l’embryon qu’elles peuvent entraîner. Plus globalement, ces technologies questionnent la notion de “progrès” et la fixation de limites à la technologie dans son projet de repousser les contraintes physiques imposées à l’humanité.
« En quittant l’INRA, je me disais « là c’est pas pareil, c’est forcément bien, parce que c’est pour aider les gens, c’est pour…». J’étais encore un peu naïf. J’étais vacciné contre la technoscience, mais je ne voyais pas que la médecine ressortait exactement la même chose. »
C’est autour de ces questionnements sur la procréation humaine et les éventuelles dérives eugénistes, dont les technologies d’aide à la procréation ouvrent les portes, que Jacques Testart publie en 1986 son ouvrage « L’œuf transparent ».

Il nous confie ne pas regretter d’avoir contribué au développement de ces techniques et d’avoir aidé des couples stériles à avoir des bébés, mais qu’il se refuse à aller plus loin et de participer à un projet qui pourrait consister en une « amélioration de l’espèce ». Ces prises de position sur le sujet et sa ferme opposition aux directions prises par les médecins lui ont valu d’être mis à la porte de son laboratoire hospitalier en 1990.
« Tout cela m’a amené à être assez vigilant sur la programmation de la recherche, sur l’intérêt pour la société de ce que l’on fait. Sans cracher totalement dans la soupe, je veux dire, je ne suis pas comme Pièces et Main d’œuvre[2] qui dit, en gros, qu’il faut fermer tous les labos, je ne crois pas. Mais je pense qu’il appartient à une entité extérieure à la recherche et à l’industrie de faire des choix. »
Et cette entité, selon lui, c’est la collectivité, ce sont les citoyens. Parce que malgré la relative méconnaissance de ce qui se déroule au sein des laboratoires, les citoyens sont concernés par ce qui en sort. Il leur appartient donc de s’exprimer et de décider collectivement comment la société doit appréhender la recherche scientifique et les développements technologiques.
Vers une mise en démocratie des sciences
Convaincu que les citoyens ont un rôle à jouer dans la science, Jacques Testart participe, avec entre autres André Cicolella, un chimiste lanceur d’alerte qui a mis en garde contre les effets sanitaires des éthers de glycol[3] ainsi que l’historien des sciences Christophe Bonneuil, à la création de l’association Sciences Citoyennes.

Cette prise de distance avec les laboratoires a permis à notre chercheur de rencontrer différentes personnes venant de domaines très variés, tels que des sociologues, des juristes, des philosophes ou des psychanalystes, qui lui ont permis de développer son esprit critique sur la science et la démocratie.
« Effectivement ça m’a donné plus de tonus pour résister et aussi plus d’armes. Parce qu’en discutant avec ces gens là, qui étaient des gens des sciences humaines, j’étais avec des gens dont le métier était de s’interroger. J’étais avec eux et ça m’a poussé un peu dans mes retranchements, ça m’a fait comprendre des choses, donc ça m’a beaucoup aidé je crois. »
A peu près au même moment, Jacques Testart a été nommé président de la Commission Française du Développement Durable (CFDD), où il a cherché à travailler sur cette complémentarité des disciplines et sur l’intégration des citoyens, pour répondre aux questionnements scientifiques et techniques. Cette expérience a laissé des traces chez notre critique des sciences, puisque c’est dans ce cadre qu’il découvre la procédure des conférences de citoyens. En 2002, il travaille sur l’organisation de l’une des premières conférences de citoyens en France portant sur le thème « Citoyenneté et Climat », dont Benjamin Dessus nous a déjà un peu entretenu lors de notre précédent entretien. Il se dit bluffé par la manière dont se dispositif permet aux citoyens de se former et de formuler des recommandations pertinentes sur des sujets complexes.
« Je les ai vus taquiner des experts en séance public, c’est assez extraordinaire. Pas tellement parce qu’ils embêtent celui-la mais parce qu’ils se disent : je suis pas si con que ça, finalement je suis capable. Ensemble, ils arrivent à produire vraiment de l’intelligence collective et à générer autre chose : de l’empathie. »
Il cherche alors à en organiser de nouvelles, plus ambitieuses. Il propose alors une grande conférence de citoyens de plusieurs pays sur le thème des aides à l’agriculture… Face à un refus gouvernemental d’expérimenter une telle procédure, l’équipe se sent véritablement censurée et démissionne avec fracas, en dénonçant par la même l’hypocrisie d’un « développement durable » fortement ancré dans le paradigme de la croissance et de la compétitivité[4]
« On nous a mis dans un placard. Nous avons démissionné avec éclat en faisant une conférence de presse en disant ce qu’on avait fait, ce que l’on voulait faire, ce à quoi on s’était opposés. »
De cette expérience, Jacques Testart en a surtout gardé des liens avec différents chercheurs, juristes et philosophes et l’idée d’expérimenter plus en profondeur le potentiel des conférences de citoyens.
« Il en y a eu des centaines, si ce n’est des milliers dans le monde, sous des appellations différentes de jurys citoyens… mais ce n’était jamais le même protocole, donc c’était un peu embêtant. On s’est dit qu’il faudrait inventer quelque chose qui puisse être une procédure, qu’on pourrait mettre dans la loi et qui soit reproductible, fiable et fidèle. »
C’est sur ce constat qu’il travaille avec Marie-Angèle Hermitte (juriste du vivant), Michel Callon (sociologue des sciences) et Dominique Rousseau (constitutionnaliste) sous l’égide de Sciences Citoyennes sur la formalisation d’un protocole strict et rationnel, intitulé « convention de citoyens » basé sur les points démontrés nécessaires des différentes conférences de citoyens et dispositifs analogues. Ce protocole a fait l’objet, en 2007, d’une proposition de loi par l’association afin de l’institutionnaliser. [5] Depuis, Sciences Citoyennes a travaillé avec Démocratie Ouverte à la rédaction d’un projet Pour des Conventions citoyennes.
« Il n’a jamais été repris par personne. Il n’y a qu’un politique qui s’y est intéressé, c’est Yves Cochet mais il ne faisait vraiment pas le poids à l’Assemblée nationale pour faire en sorte qu’on puisse discuter de ce projet de loi. Donc il n’a jamais été discuté. »
En revenant sur ce caractère bluffant des conférences de citoyens, Jacques Testart nous explique comment via cette procédure, il entrevoit de nouveaux espaces de délibération politique pour intégrer les citoyens à des débats sur des sujets aussi complexes que variés. En organisant le débat via l’intervention de sources contradictoires, les citoyens tirés au sort, qui n’ont aucun intérêt personnel quant à l’issue de la controverse peuvent exprimer un point de vue des plus démocratiques. L’enjeu est de taille ; les technosciences façonnent notre quotidien, de manière toujours plus rapide, et leur contrôle est abandonné aux forces du marché. Formaliser et institutionnaliser une procédure stricte, donnant un véritable pouvoir délibératif aux citoyens sur ces questions lui apparaît alors comme une des pistes les plus prometteuses.
Pour illustrer cela, il revient sur la procédure qui a accompagné la controverse de Cigéo sur la gestion des déchets radioactifs par l’ANDRA qu’il juge particulièrement intéressante :
« À la conclusion de Cigéo, les citoyens ont dit ‘les experts ne sont pas compétents pour nous dire s’il y a des risques ou non avec l’enfouissement des déchets radioactifs et donc nous, on ne peut pas conclure. On vous demande de faire des recherches et puis on reviendra, si vous nous invitez, pour essayer d’émettre un avis le jour où vous aurez des réponses à nos questions’. Je trouve que c’est assez exemplaire. Ça veut dire qu’ils mettaient en cause la science dans sa capacité à répondre à tout, et ils disaient, pour le moment, le mieux c’est de ne rien faire, parce que ce que vous allez faire, vous ne savez pas où ça mène. »
Les procédures en débat
Malgré ce potentiel des plus prometteurs, la proposition de Sciences Citoyennes de convention de citoyens avance peu, comme Jacques nous l’a indiqué plus tôt. L’un des principaux freins pourrait être, selon lui, la position les associations elles-mêmes qui craindraient de se faire déposséder de leur expertise.
« Il y a des freins carrément, il n’y a pas des oppositions mais des réticences, en ce sens que j’ai entendu des militants d’associations dire ‘mais pourquoi tu vas former des gens sur un problème, par exemple sur le nucléaire, sur les OGM, sur etc… Tu les choisis, ils ne connaissent rien, alors que si tu nous demandais, nous on sait’. Et ça, c’est très révélateur de comment chaque association s’imagine qu’elle est comptable de l’avenir du monde, qu’elle a la vérité sur l’avenir du monde. »
Il insiste pourtant sur le fait que les associations ont complètement leur rôle à jouer dans le processus qui accompagne les conventions de citoyens. En effet, elles peuvent figurer parmi le comité de pilotage de la démarche, composé d’acteurs aux visions contradictoires sur le sujet, et en charge d’élaborer le programme de formation des citoyens. Des experts associatifs peuvent aussi contribuer à la formation des citoyens.
L’autre frein majeur identifié par notre interlocuteur est la manière d’institutionnaliser une procédure formelle pour encadrer les conventions de citoyens. De nombreux acteurs ont proposé des procédures analogues et le débat est assez dur à instaurer.
Le sujet est d’une vive actualité puisque qu’Emmanuel Macron à annoncé fin avril lors de son discours de clôture du Grand Débat National, la perspective de mise en place d’une « convention citoyenne » de 150 personnes tirées au sort afin de proposer des actions pour la transition écologique. Jacques Testart et Sciences Citoyennes restent très vigilants quant à la procédure qui va encadrer ce dispositif, qui pourrait très bien constituer un nouvel « ersatz de consultation démocratique ».
En réaction à ces propos, Jacques Testart et des membres de Sciences Citoyennes viennent de rédiger une lettre ouverte au président Macron pour l’interpeller sur ces questions.

Capture d’écran issue du site Mediapart, consulté le 5 juin 2019.
Propos recueillis le 12 avril 2019 par Glauber Sezerino et
Thomas Germain pour le processus SSD
Références
- Sur ce sujet voir : http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte744 ↩︎
- Pièce et Main d’œuvre est un groupe grenoblois engagé dans une critique radicale de la recherche scientifique, du complexe militaro-industriel, du fichage, de l’industrie nucléaire, des biotechnologies et des nanotechnologies. Voir leur site internet : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/ ↩︎
- André Cicolella est un chimiste, toxicologue et chercheur français en santé environnementale, spécialiste de l’évaluation des risques sanitaires. Président du Réseau Environnement Santé, il est l’un des principaux lanceurs d’alerte sur les effets des pertubateurs endocrinien sur la santé humaine. ↩︎
- Voir : http://libertaire.pagesperso-orange.fr/textes/testart.html ↩︎
- Le projet de loi est disponible sur le site de l’association : https://sciencescitoyennes.org/projet-de-loi-concernant-les-conventions-de-citoyens/ ↩︎
par SSD | 16 Fév 2021 | Actualités
La cause de l’environnement devant les tribunaux
Marie-Angèle Hermitte

Marie-Angèle Hermitte, chercheur en sciences juridiques, a travaillé au CNRS et à l’EHESS. Elle a toujours situé ses recherches à l’intersection de l’économie industrielle, des sciences et techniques et du droit. Ses travaux portent essentiellement sur la manière de traiter les entités naturelles dans les différents ordres juridiques, que ce soit à travers ce qu’elle appelle « l’animisme juridique », ou sur les manières de faire évoluer le droit, par la législation, par la jurisprudence ou par les actions des citoyens à travers les associations, les actions en justice, les conventions de citoyens, la désobéissance civile …).
Christel Cournil
Christel Cournil est Professeure de droit public à Sciences Po Toulouse. Elle est directrice du Comité de la transition écologique de Sciences Po Toulouse et membre du Laboratoire des Sciences Sociales du Politique (LASSP) et membre associé à l’IDPS de l’Université Sorbonne Paris Nord (Structure fédérative Les Communs). Elle travaille sur les questions de migrations environnementales, les droits de l’Homme, le droit de l’environnement et du climat. Elle mène actuellement des recherches sur les liens entre les droits de l’Homme et l’environnement, la justice climatique et sur les mobilisations du droit par la société civile. Elle a dirigé plusieurs ouvrages collectifs et a publié plus d’une cinquantaine d’articles et de chapitres dans des revues à comité de lecture. Elle a notamment publié plusieurs ouvrages en lien avec le changement climatique et le droit : « Changements climatiques et défis du droit » (Bruylant, 2010), « Les changements environnementaux globaux et les droits de l’Homme » (Bruylant, 2012), « Les politiques climatiques de l’Union européenne et droits de l’Homme » (Larcier 2013), « Mobilité humaine et environnement : du global au local » (Éditions Quæ, 2015), « Quel(s) droit(s) pour les changements climatiques ? » (Mare & Martin, 2018), « Les procès climatiques : du national à l’international » (Pedone 2018) et « Les grandes affaires climatiques » (DICE) (2020), « La fabrique d’un droit climatique au service de la trajectoire 1.5 » (Pedone 2021). Elle est membre du Conseil d’administration de l’association Notre affaire à tous et membre du groupe des juristes de l’Affaire du siècle en France.
Le rôle de l’expert scientifique dans les procédures juridiques
Catherine Bourgain

Chercheuse en génétique humaine et en sociologie à l’Inserm, Catherine Bourgain mène aujourd’hui des recherches interdisciplinaires sur les impacts sociaux de la génomique au sein du Centre de Recherches Médecine, Sciences, Santé, Société (Cermes3). Membre du comité d’éthique de l’Inserm, elle est administratrice de l’association Sciences Citoyennes. Elle a témoigné à plusieurs reprises au cours de procès pour refus de fichage génétique ou pour discuter de l’usage de « preuves génétiques ». En 2013, elle a publié “ADN superstar ou superflic ?, les citoyens face à une molécule envahissante » (avec P. Darlu, Ed. Seuil)
Guy Kastler

Guy Kastler est vigneron et berger fromager biologique dans le Minervois, aujourd’hui retraité, représentant de la Confédération paysanne et de La Via Campesina dans divers espaces institutionnels nationaux, européens et internationaux sur les semences, les OGM et les droits des paysans, membre des Faucheurs Volontaires d’OGM, anciennement chargé de mission à Nature & Progrès puis délégué général du Réseau Semences Paysannes.
Militantisme légal et désobéissance
Francis Chateauraynaud

Francis Chateauraynaud est sociologue, directeur d’études à l’EHESS où il dirige le Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive. A l’origine de la notion de lanceur d’alerte en 1996, ses travaux portent sur les controverses environnementales, sur les conflits politiques et les scénarisations du futur. Il a notamment publié Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique (Paris, Pétra, 2011) et avec Josquin Debaz, Aux bords de l’irréversible. Sociologie pragmatique des transformations (Paris, Pétra, 2017) et plus récemment Alertes et lanceurs d’alerte (Paris, Humensis, 2020). Attentif aux processus de transformation des causes, il analyse les techniques de prise et d’emprise utilisées par les acteurs les plus influents. Depuis 2005, il anime des séminaires de recherche à Paris et à Marseille, consacrés aux multiples formes de controverses et de mobilisations, interrogeant les répertoires d’action et les conflits de légitimité qu’engendrent leurs transformations. Chateauraynaud est également co-auteur d’instruments socio-informatiques, dont le logiciel Marlowe, une contre-intelligence artificielle, dotée d’un esprit critique et capable de composer des chroniques publiées sur le Web.
Marie-Angèle Hermitte

Marie-Angèle Hermitte, chercheur en sciences juridiques, a travaillé au CNRS et à l’EHESS. Elle a toujours situé ses recherches à l’intersection de l’économie industrielle, des sciences et techniques et du droit. Ses travaux portent essentiellement sur la manière de traiter les entités naturelles dans les différents ordres juridiques, que ce soit à travers ce qu’elle appelle « l’animisme juridique », ou sur les manières de faire évoluer le droit, par la législation, par la jurisprudence ou par les actions des citoyens à travers les associations, les actions en justice, les conventions de citoyens, la désobéissance civile …).
Tribunaux alternatifs : quels objectifs et quelles règles du jeu ? Intérêts, limites, pistes d’amélioration
Gus Massiah
Gustave Massiah, ingénieur et économiste, ancien enseignant à l’Ecole d’Architecture de Paris-La Villette, UPA6. Ancien Président du CRID (Centre de Recherches et d’Informations sur le Développement). Membre du Conseil Scientifique d’ATTAC et ancien Vice-Président d’ATTAC-France. Membre du Conseil International du Forum Social Mondial (représentant du CRID). Membre fondateur du CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), du réseau IPAM (Initiatives pour un autre monde) de l’AITEC (Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs). Ancien secrétaire général de la Ligue Internationale pour les droits et la libération des peuples, créée pour accompagner la Déclaration universelle pour les droits des peuples, et la création du Tribunal Permanent des Peuples, en 1976 à Alger. Parmi ses publications : La crise de l’impérialisme, avec Samir Amin (1975, Paris, Editions de Minuit) ; Une stratégie altermondialiste, (2011, Paris, Editions La Découverte).
Jean Matringe

Jean Matringe est professeur de droit international à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne où il dirige le Master 2 de droit comparé, spécialité droits africains, de cette école.
Ayant été juge à la Cour nationale du droit d’asile et travaillant avec plusieurs ONG pour la défense des droits des migrants, il s’intéresse particulièrement, à la protection des droits de la personne humaine, en particulier ceux des migrants. Il a publié plusieurs travaux sur les droits humains et les migrations internationales et donné plusieurs conférences sur ces sujets en France, aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Mali, en Italie, au Cameroun, en Suisse et en Egypte.
Arnaud Apoteker

Aujourd’hui délégué général de l’association Justice Pesticides, Arnaud Apoteker a longtemps été responsable de la campagne OGM pour Greenpeace France. Doté d’une formation scientifique, il a été l’un des acteurs clés pour obtenir l’interdiction de la culture des OGM en France en 2008. Entre mai 2011 et mars 2015, il a mené cette bataille à l’échelle européenne pour le compte du Groupe Les Verts/ALE au Parlement européen, avant de coordonner le Tribunal Monsanto jusqu’à sa conclusion en avril 2017.
Vade-mecum pour l'action militante
Sarah Massoud
Sarah Massoud est membre du bureau national du Syndicat de la magistrature, en qualité de secrétaire nationale, depuis un peu plus d’un an. Ce syndicat, né dans l’après mai 68, milite notamment pour la défense des droits et libertés fondamentales et pour une justice indépendante afin de permettre une justice égale pour tous. Lorsque elle ne se consacre pas à plein temps à l’action syndicale, elle officie comme juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Bobigny. Elle a précédemment occupé les fonctions de juge d’instruction et de substitut du procureur, toujours dans des juridictions d’Ile de France.
Nathalie Tehio
Nathalie Tehio a grandi en Nouvelle-Calédonie où son père était l’avocat des Kanaks, et donc des indépendantistes. Elle a été ainsi en contact avec la violence liée à la colonisation et a été sensibilisée au racisme et à l’arbitraire de l’Etat. En mai 2019, elle a participé à la création de l’Observatoire parisien des libertés publiques, puis a été désignée référente des observatoires pour la Ligue, étant élue au sein des organes nationaux de la Ligue. Elle s’occupe avec d’autres membres du bureau national des questions de justice – police.
Katia Roux

Katia Roux est chargée de plaidoyer au sein du programme Libertés individuelles et collectives d’Amnesty International France, en charge des questions relatives aux libertés d’expression et aux restrictions des espaces de la société civile. Diplômée en relations internationales et en philosophie morale et politique, elle a également été en charge de campagnes portant sur des enjeux de justice sociale et de droits économiques sociaux et culturels pendant plusieurs années au sein d’ActionAid France.
Procès-bâillon: comment faire face ?
Laura Bourgeois

Laura est chargée de Contentieux stratégique et de Plaidoyer à Sherpa.
Dans ce cadre, elle a notamment à connaître des contentieux que rencontre Sherpa contre Bolloré : celui initié par un collectif d’ONG afin de contraindre Bolloré à respecter le plan d’actions élaboré devant le Point de Contact National français de l’OCDE pour remédier aux pratiques dommageables de la SOCAPALM, et ceux initiés en riposte pas la société. Avant de rejoindre Sherpa, Laura a pratiqué quelques années le contentieux des affaires en cabinet d’avocats, et notamment le droit de la presse, qui inclut les cas de diffamation.
Laura Monnier

Laura Monnier est juriste senior à Greenpeace France depuis 2015. Ex-avocate, elle est responsable des contentieux initiés par l’association, de la gestion des risques et de la stratégie de défense. Elle travaille notamment dans des domaines tels que l’énergie (nucléaire, programmation énergétique), le pétrole (forages), les transports, la forêt (huile de palme et bois illégal) et le climat (responsabilité des acteurs publics et privés). Elle suit également les questions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Julie Majerczak

Julie Majerczak est la représentante de Reporters sans frontières (RSF) auprès des institutions européennes. Elle représente l’ONG de défense de la liberté de la liberté de la presse depuis avril 2016. Avant de rejoindre RSF, elle a été journaliste pendant 16 ans. Spécialiste des questions européennes et environnementales, elle a travaillé pendant 10 ans pour le quotidien français Libération comme correspondante à Bruxelles. Elle a également été la correspondante du quotidien Le Parisien, de la radio RTL et des médias en ligne Contexte et Novethic. Julie a aussi été l’assistante parlementaire d’un député européen et la conseillère d’une ministre de l’environnement. Né à Paris, Julie est diplômée de Sciences Po Paris, titulaire d’une maîtrise de droit et d’un diplôme d’étude approfondie en sciences politiques.
Le recours au juge dans les luttes militantes
Danièle Lochak
Danièle Lochak est professeur émérite de droit public de l’université Paris Nanterre où elle a eu, jusqu’en 2006, la responsabilité du master « Droits de l’Homme » ainsi que du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF). Elle est membre du Gisti, dont elle a été présidente de 1985 à 2000, et de la Ligue des droits de l’homme. Ses recherches et ses principales publications portent sur la théorie générale des droits et libertés, le droit des étrangers et les politiques d’immigration, les discriminations, les usages sociaux du droit. Parmi ses ouvrages récents, figurent Les droits de l’homme, (La Découverte, 2018), Le droit et les Juifs en France depuis la Révolution (Dalloz, 2019) et Le droit et les paradoxes de l’universalité (PUF, 2010)
Nicolas Ferran
Nicolas Ferran est docteur en droit public. De 1995 à 2011, il s’est engagé auprès de la Cimade et a fondé, en 2007 le mouvement des « Amoureux au ban public », qui se donnait pour objectif d’offrir aux couples franco-étrangers un espace de mobilisation collective pour la défense de leurs droits. Il a assuré la coordination nationale de ce mouvement jusqu’en décembre 2010. Il est également membre du Gisti depuis plusieurs années. Depuis janvier 2011, il occupe le poste de responsable du pôle contentieux de l’Observatoire international des prisons et a donc pour mission de définir et de conduire la stratégie contentieuse de l’association. Documentariste à ses heures perdues, Nicolas Ferran a réalisé deux films documentaires sur les effets effets dévastateurs des politiques d’immigration sur les couples franco-étrangers (« Amoureux au ban public, 2010) et sur une structure d’accueil de personnes condamnées en fin de peine (« A l’air libre », co-réalisation avec Samuel Gautier, 2016).
L'action de groupe
Arthur Messaud

Arthur a rejoint La Quadrature du Net en 2013, au moment où celle-ci commençait son travail d’influence sur le RGPD débattu au Parlement européen. En mai 2018, La Quadrature du Net déposait devant la CNIL les cinq premières plaintes collectives permises par ce règlement, réunissant 12 000 plaignants contre Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. En plus de lutter contre la surveillance publicitaire, Arthur participe à la lutte contre la surveillance d’État dans une série de contentieux opposant La Quadrature au gouvernement depuis 2015.
Michele Spanò

Michele Spanò, philosophe et juriste, est maitre de conférences à l’EHESS depuis 2017. Il est membre du LIER-FYT, codirige la mention Etudes Politiques de l’EHESS et il est membre des conseils pédagogiques Master IOES (PSL). Il s’intéresse aux procédures et aux techniques à travers lesquelles la représentation, la production, la revendication et la mobilisation de ce qui est ‘collectif’ ou ‘commun’ – acteurs, droits, biens, intérêts – se joue dans le domaine du droit privé. L’analyse et l’histoire de ces opérations implique d’un côté l’étude de toutes une série de techniques normatives diverses et irréductibles aux formes classiques de la représentation politique moderne ; de l’autre côté, elle entraîne une enquête sur la manière dont le droit occidental lui-même, bâti sur le pilier de la primauté du droit subjectif, est en train de changer pour faire place à tout ce qui est collectif et commun.
Il est l’auteur des plusieurs publications, en plusieurs langues, portant sur l’histoire et la théorie du droit privé (propriété, contrats, responsabilité), les actions collectives en justice, les biens communs et l’histoire de la pensée politique. Entre autres, il a écrit un livre concernant les « class actions » et un manuel de philosophie sociale.
Maria José Azar-Baud

Maria José AZAR-BAUD est Maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, et conférencière dans plusieurs universités étrangères et françaises. Elle a un double doctorat (universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Buenos Aires) – portant sur Les actions collectives en droit français et argentin à la lumière du droit comparé, Dalloz 2013 – ; elle est l’auteure d’une centaine de contributions en français, anglais et espagnol dont l’une de auteurs de l’étude faite en 2018 pour le Parlement européen – State of play of Collective redress in Europe – (avec une équipe de Trans Europe Experts).
Elle est également co-directrice de la Clinique juridique Paris-Saclay et fondatrice de l’Observatoire des actions de groupe et autres actions collectives, créé en 2017. Outre l’enseignement et la formation (IEJ, ENM), Maria José est avocate au Barreau de Paris (ancienne avocate au Barreau de Buenos Aires où elle a dirigé une association de consommateurs agréées) et Conseil indépendante en matière de Gestion de disputes de masse (côté demandeur et en défense); elle est membre du Directoire de deux organisations non gouvernementales européennes qui poursuivent l’accès à la justice à une échelle collective. Elle a été auditionnée au Sénat et à l’Assemblée ainsi qu’au Parlement européen.
Quels avocats pour les causes?
Claire Dujardin

Claire Dujardin est avocate depuis 2006 au barreau de TOULOUSE, exerçant principalement en droit des étrangers et en droit pénal. Elle a participé à la défense collective sur la ZAD de Sivens, dans les mouvements sociaux et manifestations. Membre du Syndicat des Avocats de France, elle est en charge notamment des questions de police, maintien de l’ordre et répression judiciaire des manifestants.
Marie-Angèle Hermitte

Marie-Angèle Hermitte, chercheur en sciences juridiques, a travaillé au CNRS et à l’EHESS. Elle a toujours situé ses recherches à l’intersection de l’économie industrielle, des sciences et techniques et du droit. Ses travaux portent essentiellement sur la manière de traiter les entités naturelles dans les différents ordres juridiques, que ce soit à travers ce qu’elle appelle « l’animisme juridique », ou sur les manières de faire évoluer le droit, par la législation, par la jurisprudence ou par les actions des citoyens à travers les associations, les actions en justice, les conventions de citoyens, la désobéissance civile …).