Une crise de la démocratie ?
Les réflexions sur la démocratie et sa crise sont relancées par le mode de déroulement des processus participatifs et les débats et résultats électoraux récents.
Elles portent notamment sur les mécanismes de décision publique des sociétés. Parmi les enjeux soulevés dans ce débat figure la place de la science et notamment des vérités scientifiques, dans le débat démocratique.
Certains parlent de vérités alternatives, ou de monde post factuel. Ainsi, l’ancien débat sur le rôle de la science et de l’expertise dans une société démocratique est de nouveau posé.
Afin d’appréhender le rôle que les scientifiques peuvent ou doivent jouer dans des sociétés démocratiques, nous proposons d’organiser une rencontre sur « Sciences – Sociétés – Démocratie », qui aurait lieu au premier semestre 2018.
Cette note constitue une invitation à participer à l’organisation de cette rencontre.
Les objectifs de la démarche
L’objectif premier du colloque est de contribuer à construire une alliance entre les scientifiques et les mouvements.
Les scientifiques concernés sont tous ceux qui, individuellement ou collectivement, participent à l’accumulation des connaissances scientifiques et techniques et inscrivent leur activité en référence à l’intérêt général et au bien commun.
Les mouvements sociaux et citoyens concernés sont ceux qui s’inscrivent dans la perspective des droits et de l’accès aux droits pour toutes et tous. Il s’agit de dépasser les débats sur la définition parfois floue et ambiguë de la société civile.
Cette alliance est plus que jamais nécessaire dans une période de montée des courants prônant la xénophobie, les racismes, les discriminations, les dominations. De même, certains de nos dirigeants visent à instrumentaliser la science, la mettre au service de leurs objectifs.
Il s’agit d’apporter aux mouvements les outils de compréhension du monde et d’accumulation des connaissances ; d’apporter aux scientifiques une liberté et une autonomie par rapport aux intérêts politiques et économiques, tout en reconnaissant leur nécessaire responsabilité. Il s’agit aussi d’enrichir les mouvements par la participation des scientifiques ; de soutenir la création d’un mouvement des scientifiques engagés dans la défense des droits et l’accès aux droits pour toutes et tous.
L’approche par les droits ouvre le champ des possibles, en partant d’outils imparfaits qu’il faut développer : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) ainsi que les instruments du droit international. Nous visons une co-construction d’un universel qui tienne compte de la diversité des situations et des cultures, par la définition et la précision des droits par rapport aux bouleversements scientifiques, techniques, intellectuels, et civilisationnels de notre époque.
Nous proposons de faire face, ensemble, à trois défis :
- Le renouvellement de la pensée scientifique confrontée aux révolutions philosophiques : celle de l’écologie et du rapport entre l’espèce humaine et la Nature ; celle des nouvelles technologies qui bousculent le vivant, le langage et l’écriture, ainsi que le refus de céder à la démesure.
- L’évolution de l’expertise confrontée au choix entre la démarche scientifique et le marché, et la possible contribution de l’expertise à la démocratie en cherchant à éclairer les choix des citoyens.
- L’approfondissement de la démocratie par rapport au pouvoir de l’expertise et à l’évolution de la pensée scientifique.
C’est un appel aux scientifiques à travailler avec les mouvements pour renouveler la pensée scientifique, la démarche scientifique et l’expertise et pour enrichir la démocratie.
Une réflexion inscrite dans la durée
Global Chance, l’AITEC et Sciences Citoyennes ont organisé plusieurs événements majeurs sur le thème Sciences, Sociétés et Démocratie et ce, depuis près de 25 ans. Voici les jalons les plus significatifs :
Cette rencontre a interrogé la notion de progrès et interpelle la notion de développement et le sens de la transformation sociale. On trouvera dans la publication de la rencontre, Vous avez dit Progrès ?, l’Appel de Heidelberg (1er juin 1992) et la réponse de Global Chance à cet appel (12 juin 1992) ainsi que les contre appels de Conscience et de l’AITEC. C’était un moment important de l’intervention des scientifiques dans le débat sur l’écologie et le développement.
Cette rencontre a interpellé la science ; elle a appellé pour une science responsable. Elle a interrogé la démocratie et la confrontation à la question du pouvoir. Elle mettait en avant quatre questions : la responsabilité des scientifiques, le rôle des politiques, le poids des médias, a participation des citoyens.
Ce cycle de sept colloques proposait aux acteurs de la société civile de prendre l’initiative de créer leurs propres réflexions autour de la science et de sa place dans notre monde face aux enjeux écologiques planétaires et aux chercheurs d’accepter d’éclairer cette réflexion en partageant leurs questionnements et incertitudes. Les actes de ce cycle ont été enrichis pour déboucher sur l’ouvrage « Labo Planète – Ou comment 2030 se prépare sans les citoyens » rédigé par Jacques Testart, Agnes Sinaï et Catherine Bourgain.
Ce processus est une initiative lancée en 2007 pour favoriser le dialogue politique entre les institutions scientifiques et les acteurs sociaux (associations, ONG, syndicats, collectifs citoyens) sur les questions Sciences et Sociétés au niveau international. Ces rencontres se sont tenues en marge du Forum Social Mondial avec notamment Enda, All India Peoples Science Network, l’Institut Brésilien d’Analyses Socio-Économiques, le Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux…
La rencontre que nous proposons d’organiser s’appuiera sur les réflexions et conclusions auxquelles ont mené ces événements et dont les propos demeurent d’une forte actualité. Nous rappellerons deux de ces « conclusions » : le discours scientifique est instrumentalisé pour légitimer la réalité économique et sociale ; face à un système est de plus en plus fermé, la liberté passe aussi par le droit à la dissidence et la subversion.